Mort au travail : durcissement pénal

par | Juil 13, 2025 | Réglementations et obligations

« Une prise de conscience timide et tardive », titrait Le Monde le 8 juillet 2025. Le constat est dur, mais partagé par les professionnels de la prévention. Chaque année, plus de 1200 salariés meurent en France à cause de leur travail, soit 25 travailleurs par semaine.

Longtemps relégués au second plan judiciaire, ces drames font désormais l’objet d’une attention accrue. Une instruction conjointe du ministère du Travail et de la Justice, publiée le 10 juillet 2025, marque un tournant : la réponse pénale devient un outil central dans les accidents graves et mortels au travail.


Ce qui existe déjà en cas d’accident mortel

L’obligation de signalement

L’employeur à l’obligation de contacter l’inspection du travail à partir du moment où l’employeur a pris connaissance du décès du salarié, il a 12 heures maximum pour en informer l’inspection du travail.

L’obligation de declaration

L’employeur à l’obligation de procéder à la déclaration d’accident du travail (DAT) dans les 48 heures, à partir du moment où il en a eu connaissance.

L’obligation d’analyse

L’article R.2312-2 du Code du travail précise cette obligation en cas d’accident du travail ou de maladie professionnelle.
L’article R.2312-2 du Code du travail stipule que dès lors qu’un accident du travail, une maladie professionnelle ou une maladie à caractère professionnel survient dans l’entreprise, une enquête conjointe doit être menée par l’employeur ou son représentant, et le CSE ou la commission SSCT.

L’obligation de répondre à la visite de l’Assurance Maladie et sa branche Risques professionnels

Une enquête est systématiquement ouverte par l’Assurance Maladie et sa branche Risques professionnels en cas d’accident du travail grave et mortel.

L’employeur fera l’objet d’une visite de l’enquêteur de la caisse d’assurance maladie (CPAM ou CGSS) et/ou du préventeur de la caisse régionale (Carsat, Cramif, CGSS).

Lors de sa visite, ces enquêteurs vont notamment :

  • enquêter sur les circonstances de l’accident ;
  • informer l’employeur sur la procédure de reconnaissance de l’accident du travail et les éventuelles conséquences financières sur sa cotisation accidents du travail et maladies professionnelles (AT/MP) ;
  • s’assurer que l’analyse de l’accident du travail est réalisé, en cours de réalisation ou planifiée avec les instances représentatives du personnel ;
  • conseiller et définir les mesures de prévention à mettre en place ;
  • cette enquête participe à l’instruction de la reconnaissance de l’accident ;
  • la CPAM prendra contact avec les ayants droits ;
  • le préventeur peut donner des suites à cette enquête : soit un courrier de recommandation ou une injonction demandant la mise en œuvre d’actions, en cas de non réalisation d’action, une majoration du taux de cotisation peut avoir lieu
  • cette enquête peut venir alimenter une éventuelle faute inexcusable.

⚖️ La nouveauté : instruction

La DGT (Direction générale du travail) et la DACG (Direction des affaires criminelles et des grâces) ont signé une nouveauté qui porte sur l’instruction visant à renforcer, structurer et systématiser la réponse judiciaire face aux accidents du travail graves ou mortels.

Elle s’articule autour de trois piliers majeurs :

1. Mobilisation immédiate des outils coercitifs

  • Verbalisation des infractions graves en matière de santé et sécurité, même sans accident.
  • Transactions pénales proposées aux entreprises fautives (amendes + actions correctives).
  • Transmission systématique au parquet des constats d’infractions graves.

2. Enquêtes pénales renforcées

  • Généralisation de la co-saisine : l’inspection du travail enquête désormais en lien avec les forces de police judiciaire, sous la conduite du parquet.
  • Élargissement du périmètre : les poursuites ne visent plus seulement les employeurs directs, mais aussi les maîtres d’ouvrage, donneurs d’ordre, coordonnateurs SPS, etc.

3. Accompagnement structuré des victimes et familles

  • Obligation d’information rapide et complète des ayants droit.
  • Renforcement des liens avec les associations d’aide aux victimes.
  • Clarification de l’accès aux démarches d’indemnisation et aux procédures judiciaires.

🔗 Démarche de lutte contre les accidents du travail pas à pas


Ce que révèle l’article du Monde

L’article du Monde, paru deux jours avant la publication officielle de l’instruction, ne se contente pas de décrire la réforme : il en analyse la portée politique et les causes profondes.

Selon la journaliste Sarah Belouezzane :

  • La France a longtemps fait preuve d’indifférence pénale face à la mort au travail.
  • Ces accidents, pourtant évitables, étaient souvent mal traités, classés sans suite ou jugés trop tardivement.
  • Cette instruction est le symbole d’un réveil tardif, après de nombreux drames médiatisés (dont celui de Paprec, cité dans l’article).

Ce que cela change concrètement pour les entreprises

AvantAprès
Enquêtes isolées et lentesEnquête conjointe Inspection + Police judiciaire
Responsabilité limitée à l’employeurTous les acteurs du chantier ou de l’organisation peuvent être poursuivis
Sanctions raresPoursuites pénales + transactions + médiatisation
Familles peu accompagnéesPrise en charge formalisée, soutenue par des associations

Un changement de paradigme

Ce durcissement n’est ni anecdotique, ni passager. Il répond à une volonté de l’État de restaurer la confiance des citoyens dans la justice du travail, et de réaffirmer l’obligation de résultat en matière de sécurité.

L’employeur reste responsable (article L4121-1 du Code du travail), cette responsabilité pouvait entraîner des conséquences pénales lourdes, y compris pour des délits non intentionnels (blessures involontaires, homicide involontaire, mise en danger d’autrui…), ce qui est réaffirmé avec cette circulaire.


Mais hélas, ce n’est toujours pas de la prévention : les morts sont là !

Ce texte n’a pas vocation à prévenir les accidents : il vise ceux qui ont déjà eu lieu. Il ne s’agit plus de sensibilisation, mais de sanctionner. L’État affiche un message clair : les morts au travail ne peuvent plus être considérés comme des « aléas » ou des « coûts ». Ils sont désormais des délits punis, avec la rigueur attendue.


✅ Que doivent faire les employeurs et HSE maintenant ?

  1. Renforcer au maximum leur démarche de prévention, en l’orientant vers le zéro accident du travail grave et mortel, afin de garantir la sécurité et la santé des salariés
  2. Conduire des actions de prévention dans le respect des principes généraux de prévention
  3. Avoir une réelle évaluation des risques et un DUERP à jour
  4. Organiser le post-accident : avoir une procédure claire, avec un lien vers la DEETS, la CARSAT.
  5. Mettre en œuvre des moyens pour protéger les travailleurs, les collègues, les témoins de l’accident.
  6. Documenter et tracer les actions de prévention.

Pour aller plus loin

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