Quelle valeur juridique, quelles obligations, quelles conséquences
Une alerte, vous voulez déclencher une enquête interne, tout ce que vous devez savoir, depuis le signalement d’une alerte jusqu’à son traitement.
Découvrez les préconisations à suivre et les pièges à éviter pour mener une enquête interne réussie. Les conseils pratiques pour conduire une enquête sécurisée.
Table
1/. Contexte
A l’issue d’un signalement fait par un salarié, le CSE, le référent harcèlement ou un lanceur d’alerte. Une enquête interne peut être déclenchée. Il s’agit de recueillir des informations afin de vérifier la réalité ou non d’une situation signalée, elle apporte des éléments de preuves.
L’enquête interne est une procédure d’investigation mise en place au sein de l’entreprise.
Elle se déroule en plusieurs étapes :
- la qualification de l’alerte,
- l’analyse des faits,
- le recensement des preuves,
- la clôture.
Les conséquences peuvent entrainer des modifications organisationnelles, des sanctions disciplinaires, des responsabilités juridiques pour l’entreprise et les personnes impliquées. Il est donc essentiel de respecter les règles applicables en matière d’enquêtes internes.
Elle doit servir à identifier les faits permettant à caractériser ou non l’alerte. Ces faits peuvent être de plusieurs natures et faire l’objet de fautes professionnelles, mais aussi être de nature plus grave (ex : infraction pénale).
La Cour de cassation est venue compléter la recevabilité de l’enquête interne, dans l’arrêt du 29 juin 2022. Le cas en question concerne du harcèlement où la cour de cassation a déclaré ce qu’était un rapport d’enquête interne « recevable ».
2/. Définir une procédure d’alerte
Pour être efficace en prévention des risques professionnels, il faut s’organiser le plus en amont dans le cas où une alerte serait dénoncée dans votre entreprise Il faut l’acter dans votre DUERP !
COMMENT ? élaborer une procédure d’alerte et d’enquête interne prévoyant
- une organisation,
- une méthodologie,
- des garanties de neutralité,
- de confidentialités et protection des victimes/lanceurs d’alerte (garantissant la protection des données personnelles de toutes les parties prenantes).
Les salariés doivent être informés de cette procédure afin de connaître les modalités s’ils sont exposés. C’est un gage de sérieux de l’entreprise que les alertes soient prises en compte avec la volonté d’agir.
En faisant le choix d’enquêter, l’entreprise garde la maîtrise de l’alerte et de son traitement. Si c’est prévu, les salariés ne refuseront pas de se soumettre à l’enquête.
Dans tous les cas, ne pas laisser des agissements anormaux (racisme, propos sexiste, attouchement…) exister dans votre entreprise, agissez immédiatement pour ne pas les laisser prendre de l’ampleur.
Former vos salariés, vos cadres, à la détection de situation à risques : le harcèlement, c’est quoi, les addictions, les conflits…
N’oublions pas que ce travail peut avoir des conséquences pour les salariés impliqués.
3/. L’alerte : obligations / réactions
Si vous ne l’avez pas prévu, ce n’est pas grave, ce qui serait plus grave, c’est de ne pas considérer une alerte.
Selon, l’article L.1152-4 du Code du travail, « l’employeur prend toutes dispositions nécessaires en vue de prévenir les agissements de harcèlement moral ». Sachant que l’article L.4121-1, rappelle l’obligation de l’employeur concernant la protection de la santé physique et mentale des salariés.
Il est essentiel d’apporter une réponse, d’acter par écrit à l’émetteur de l’alerte que le signalement a bien été réceptionné et de rappeler la protection légale de l’émetteur. Dans le respect de la loi Sapin II vous devez garantir la confidentialité de l’identité ainsi que du contenu du message du lanceur d’alerte.
La première étape est d’évaluer l’alerte (impact, gravité, savoir faire) afin de définir l’opportunité de réaliser une enquête interne. Dans certains cas, une médiation entre les 2 parties peut suffire sans forcément passer par une enquête interne.
Si vous choisissez de réaliser une enquête interne, vous vous engagez à aller au bout et à assumer les conséquences. Vous allez solliciter la parole des salariés, les victimes ayant subi des souffrances, il y a des attentes vis-à-vis de cette enquête.
Vous avez estimé que l’alerte était recevable, vous allez conduire une enquête interne afin de collecter les faits, pour comprendre la situation de travail.
Le choix des personnes qui vont la réaliser est important. Ces personnes devront idéalement être formées et avoir un savoir être garantissant la confidentialité, l’indépendance, l’impartialité et l’objectivité.
Vous pouvez vous faire aider : du médecin du travail, des élus du personnel, d’un juriste, d’un inspecteur du travail, d’un agent des services prévention de la sécurité sociale.
Elle doit commencer le plus tôt possible après l’alerte (même en période de congés, une situation grave ne doit pas perdurer).
En l’absence d’enquête ou de réaction, cela peut constituer un manquement à l’article L.4121-1 du code du travail.
L’enquête interne est-elle obligatoire ?
D’après le pourvoi en cassation du 12 juin 2024, concernant la mission de l’employeur et l’enquête interne à la suite d’une dénonciation de faits susceptibles de constituer un harcèlement moral. :
- Une DRH a adressé des courriels à sa hiérarchie pour signaler des différends avec une collègue. Elle a obtenu des réponses, mais aucune mesure complémentaire ni enquête interne n’a été engagée
- La salariée, ultérieurement licenciée, a saisi les tribunaux pour harcèlement moral et manquement à l’obligation de sécurité
Appréciation par la cour d’appel
- La cour d’appel a considéré que les réponses fournies par la hiérarchie constituaient des mesures suffisantes pour préserver la santé et la sécurité de la salariée, malgré l’absence d’enquête interne
Décision de la Cour de cassation
- Elle a confirmé que l’employeur n’a pas manqué à son obligation de sécurité, dès lors qu’il justifie avoir pris des mesures suffisantes pour protéger la salariée, même en l’absence d’enquête interne
- Elle confirme ainsi que l’enquête interne n’est pas une obligation automatique, mais reste facultative si d’autres mesures appropriées ont été prises
Portée et enseignements
- Il s’agit d’un allègement jurisprudentiel : jusqu’à présent, l’absence d’enquête pouvait être assimilée à un manquement à l’obligation de sécurité (par ex. Cass. soc., 27 nov. 2019, n° 18‑10.551), mais ici, l’appréciation devient plus nuancée.
- Toutefois, l’enquête interne reste souvent nécessaire, notamment pour respecter l’obligation de prévention du harcèlement moral ou en présence d’éléments suffisamment sérieux – l’arrêt ne crée donc pas de principe général d’absence d’enquête
- L’urgence, la nuance, et l’appréciation au cas par cas restent essentielles.
Cependant l’arrêt du 29 juin 2022 qui définit le rapport d’enquête, précise que l’absence de mise en place d’une enquête interne après des révélations et des plaintes de harcèlement moral par un salarié est un manquement de l’employeur à son obligation de résultat, entraînant un préjudice au salarié. Et inversement, un salarié ayant alerté ou victime peut évoquer la responsabilité de l’employeur qui n’a pas diligenté d’enquête ou pris aucune mesure d’investigation.
Respect de la RGPD
Le 18 juin 2025, la cour de cassation vient compléter les pratiques en matière d’enquêtes internes et notamment le droit d’accès aux données personnelles en entreprise.
Lorsque des emails professionnels sont utilisés dans l’enquête interne. Il y a certaines règles à respecter :
Pour assurer la mise en conformité RGPD, l’entreprise doit mettre en place une procédure spécifique d’accès aux emails ( demande → extraction → remise sécurisée), respecter le délai légal d’un mois (art. 12 RGPD), appliquer les exceptions légales prévues pour protéger les droits des tiers et éviter toute atteinte disproportionnée, et former les équipes (RH, IT, managers) à la gestion correcte de ces demandes.
Dorénavant :
✅ Transparence accrue : toutes les preuves, pour et contre, doivent être intégrées.
✅ Accès élargi : le salarié peut consulter ses emails professionnels.
✅ Processus plus formalisé : les RH devront documenter et sécuriser chaque étape.
Ce qui veut dire il faut préparer en amont en anticipant les demandes RGPD dès le début de l’enquête. Afin d’être confronter à une enquête, définir une procédure dédiée d’accès aux emails professionnels et un registre des demandes d’accès.
4/. L’enquête interne : déroulement et contenu
Le but est de comprendre la situation de travail qui a conduit à des agissements non permis en entreprise. Elle doit conduire à des actions de corrections et de prévention.
Une procédure ou à minima une organisation doit être définie pour réaliser cette enquête : qui, quand, périmètre, modalités d’enquête*, plan d’action.
Définir les besoins de l’enquête, une salle neutre, les documents à consulter, les entretiens à réaliser, les mesures correctives immédiates.
*Modalités d’enquête : bien évidemment, je parle des entretiens et du respect du contradictoire. Libre à vous de réaliser d’autres pratiques, seulement si elles sont prévues dans votre règlement intérieur et permise par le Code du travail. Une enquête génère forcément des tensions en entreprise, inutile de rajouter de l’huile sur le feu par des filatures, des tentations, du pistage sur les réseaux sociaux, de la géolocalisation…
Idéalement, 2 enquêteurs réaliseront les entretiens. Ils veilleront à rester neutre et objectif, à mettre à l’aise les salariés reçus en entretien, à les informer de la confidentialité, à les protéger d’éventuelles représailles, on ne les convoque pas !
A partir d’un questionnaire préétabli de questions ouvertes, ils réaliseront une écoute active et pourront poser d’autres questions si besoin. Pour chaque entretien, veiller à ce que les entretiens aient sensiblement la même durée (respect du temps du contradictoire) et donc prévoir un contradictoire effectif avec le salarié suspecté.
Pour vous aider, télécharger le guide complet pour agir avec méthode, efficacité… et conformité.
Il est important de documenter chaque étape de l’enquête, en documentant toutes les étapes : auditions, vérifications, analyses
A l’issue, ils rédigeront ensemble un compte-rendu écrit, daté et signé des auditions. Ce rapport d’enquête doit permettre à l’employeur de prendre des décisions. Il faut centraliser tous les témoignages (pour et contre), Constituer un dossier exhaustif et traçable
Contenu du compte-rendu des auditions :
– le calendrier à partir de la date de l’alerte ;
– la méthodologie choisie ;
– les faits de l’alerte, l’évaluation interne de l’impact ;
– les salariés impliqués ;
– les auditions réalisées (qui pourront être annexés au compte-rendu) ;
– les faits révélés ;
– les conclusions finales des enquêteurs.
5/. Quelles suites données à l’enquête interne
Les faits n’ont pas été prouvés, aucune sanction, revoir l’évaluation des risques professionnels pour acter la situation et définir les mesures mise en place.
Si les faits sont avérés et non pénalement répréhensible, une négociation amiable doit être trouvée tant organisationnelle, qu’individuelle.
Si les faits sont avérés et pénalement répréhensible, il est urgent de protéger la ou les victime(s), de déposer plainte au nom de l’entreprise, d’exclure l’auteur de toutes situations de travail à titre conservatoire. Le compte-rendu de l’enquête interne sera transmis aux autorités judiciaires compétentes.
Si les faits ont eu ou ont un impact physique et/ou psychologiques sur la victime, vous devez déclarer ce salarié au titre de l’accident du travail étant donné le lien avec le travail ou demander à la victime de faire une déclaration de maladies professionnelles si les agissements s’inscrivent dans le durée.
Le compte-rendu de l’enquête n’est pas obligatoirement communiqué aux salariés ayant été entendus, ni à l’auteur des faits. « Le respect des droits de la défense et du principe de la contradiction n’impose pas que, dans le cadre d’une enquête interne destinée à vérifier la véracité des agissements dénoncés par d’autres salariés ».
Le respect du principe du contradictoire et des droits de la défense ne contraint pas l’employeur à informer ou à auditionner le salarié visé, ni à lui donner accès au dossier ou aux pièces recueillies, ni à le confronter aux collègues qui l’ont mis en cause.
En raison de la hausse du risque de contentieux, un licenciement fragilisé peut entraîner des coûts importants (indemnités prud’homales, dommages intérêts), rendant essentiel de vérifier que l’assurance professionnelle couvre bien les frais juridiques associés.
6/. Agir pour sortir de la situation
C’est l’employeur qui décide !
– Tentez de privilégier une négociation à l’amiable, grâce à de la médiation, de la conciliation
– Parfois un recadrage suffit, l’employeur réalise un entretien avec l’auteur des faits en le formalisant
– Traiter la situation de travail pour éviter que de tels agissements puissent se reproduire sur le lieu du travail. Il faut agir le plus tôt possible, ne pas permettre tous les agissements en entreprise (ex : propos sexistes, main au fesse, propos raciste…). Il faut immédiatement les sanctionner, pour éviter qu’ils prennent plus d’ampleur.
– Sanctionner plus lourdement l’auteur des faits, en fonction de la gravité, adapté la sanction, en respectant votre règlement intérieur, le Code du travail : avertissement, blâme, mise à pied disciplinaire, mutation disciplinaire, licenciement…
Si vous utilisez le compte-rendu de l’enquête pour sanctionner, vous disposez d’un délai de deux mois pour le convoquer à un entretien préalable ou lui adresser un avertissement.
Par contre, au-delà d’un délai de deux mois, ce ne sera plus possible sauf s’il y a des poursuites pénales pour les mêmes faits.
Tous les participants à l’enquête sont protégés et ne peuvent faire l’objet de sanctions disciplinaires pour avoir dénoncé des faits.
– Déposer plainte en gendarmerie pour soutenir le salarié victime et dénoncer des agissements pénalement condamnables. J’insiste sur le fait que c’est à l’entreprise de le faire et non à la victime, c’est bien un agissement permis dans le cadre du travail.
Une médiation et/ou une enquête interne réussie permettent à l’entreprise d’agir efficacement en corrigeant la situation concernée, en prévenant les risques futurs, c’est un gage de confiance et de considération pour les salariés.
Le 18 juin 2025, la cour de cassation fixe plusieurs principes :
✅ Conséquence directe : si l’enquête est jugée partiale ou incomplète → licenciement sans cause réelle et sérieuse.
✅ Pouvoir souverain des juges : les juges du fond apprécient librement la valeur des enquêtes internes.
✅ Obligation d’objectivité : L’employeur doit produire tous les éléments, y compris ceux favorables au salarié mis en cause.
✅ Les témoignages anonymisés ne suffisent pas si l’anonymisation empêche le salarié de contester des accusations.
✅ En cas de doute (témoignages contradictoires non éclaircis), le bénéfice du doute va au salarié.
Pour conclure – Enquête interne : obligations, portée et contradictions apparentes
La jurisprudence montre que l’enquête interne en entreprise, notamment en matière de harcèlement moral, obéit à des principes clairs mais nuancés.
L’enquête interne : pas une obligation automatique
- Arrêt du 12 juin 2024 : l’employeur peut remplir son obligation de sécurité sans enquête interne, à condition de démontrer qu’il a pris des mesures suffisantes et appropriées pour protéger le salarié.
- Cela marque un assouplissement par rapport à des décisions plus anciennes (ex. Cass. soc., 27 nov. 2019) où l’absence d’enquête était souvent vue comme un manquement.
Quand l’absence d’enquête engage la responsabilité
- Arrêt du 29 juin 2022 : en cas de signalement sérieux (ex. harcèlement moral) ne pas diligenter d’enquête ni prendre de mesure d’investigation peut constituer un manquement à l’obligation de sécurité et causer un préjudice au salarié.
- L’employeur doit donc évaluer la gravité des faits et décider en conséquence.
Communication des résultats : non obligatoire
- La Cour rappelle que le respect des droits de la défense et du contradictoire n’impose pas :
- d’informer le salarié mis en cause,
- de l’auditionner systématiquement,
- de lui donner accès aux pièces ou témoignages.
- Le contradictoire peut être respecté ultérieurement, devant le juge.
Arrêt du 18 juin 2025 :
L’enquête doit être objective, complète et équilibrée (éléments à charge et à décharge).
Les témoignages anonymisés ne suffisent pas si l’anonymisation empêche la défense.
Un rapport partiel ou partial peut mener à un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
RGPD et données personnelles
L’usage d’emails professionnels dans une enquête impose le respect strict du RGPD (procédure d’accès, délai légal, exceptions, traçabilité).
La clé : anticiper, formaliser la procédure, agir vite et avec équité.

